“Cette année 1592 mourut Michel seigneur de Montaigne agé de 59 ans ans et demy à Montaigne. Son cœur fut mit dans l’église Saint Michel et Françoise de La Chasagne dame de Montaigne sa vefve fit porter son corps à Bourdeaux et le fit enterrer an l’église des Feuillans où elle luy fit faire un tombeau eslevé et acheta pour cela la fondation de l’esglise “
Ephemeris historica, Livre de raison de Montaigne, 16e s., Michael Beuther, Michel Fézandat et Robert Granjon impr. (Paris)
Michel de Montaigne est sans doute le personnage français le plus universel, et le bordelais le plus illustre. Récemment, les équipes du Musée d’Aquitaine ont découvert un tombeau dans les sous-sols du musée contenant un cercueil en bois avec une plaque en cuivre doré portant le nom de Michel de Montaigne ainsi que la présence de restes humains. Afin de vérifier s’il s’agit bien du caveau du philosophe, Alain Juppé, Maire de Bordeaux et Président de Bordeaux Métropole, a annoncé ce vendredi 16 novembre le lancement de recherches archéologiques et anthropologiques majeures.
Que savons-nous de ce caveau et des multiples translations des restes de Montaigne ?
– Michel de Montaigne est décède en 1592 en son château de Saint Michel de Montaigne ;
– En 1593, le cercueil est installé dans la chapelle du couvent des Feuillants à Bordeaux, à l’emplacement du musée d’Aquitaine ;
– En 1603 le cénotaphe et le cercueil sont installés dans l’église rénovée des Feuillants ;
– En 1802, le couvent des Feuillants est remplacé par le lycée ; le cénotaphe et le cercueil sont alors installés dans la chapelle du lycée, qui est incendiée en 1871 ;
– Les restes de Montaigne sont provisoirement transportés au dépositoire du cimetière de la Chartreuse ;
– En 1886, les restes sont une nouvelle fois déplacés dans la nouvelle faculté des lettres et des sciences dont on achève la construction, à l’emplacement de l’ancien couvent des Feuillants. Le tombeau réalisé par l’architecte Charles Durand pour le compte de la Ville de Bordeaux est alors placé presque à l’aplomb du cénotaphe, qui lui-même est installé dans le hall de la faculté ;
Depuis cette date, le tombeau n’a jamais été ouvert et la mémoire de la présence du corps de Michel de Montaigne s’est progressivement estompée… Lors de l’inauguration de la restauration du cénotaphe de Michel de Montaigne en mars 2018, j’ai pu constater que les scientifiques présents n’avaient plus idée de la localisation de ses restes.
Quelles sont là où les personnes qui sont inhumées dans ce tombeau ? S’agit-il de Michel de Montaigne ? Est-ce que le faisceau d’indices relatifs au tombeau de Michel de Montaigne seront confirmés ou infirmés ?
Pour répondre à ces questions, Montaigne lui-même nous a montré la voie dans ses célèbres Essais (III,,XIII De l’expérience) : « Il n’est de désir plus naturel que le désir de connaissance. Nous essayons tous les moyens qui nous y peuvent mener. Quand la raison nous manque, nous y employons l’expérience qui est un moyen plus faible et moins digne ; mais la vérité est chose si grande, que nous ne devons dédaigner aucune entremise qui nous y conduise. » Le Musée d’Aquitaine va mener à bien des recherches archéologiques en ne négligeant rien afin de mieux comprendre l’origine de ce tombeau.
Il est trop tôt pour dire si nous avons effectivement redécouvert les restes de Michel de Montaigne. Mais cette investigation permettra de connaître l’histoire du site et de ses différents occupants (couvent des Antonins, couvent des Feuillants, section révolutionnaire Michel de Montaigne, lycée, université, siège de la communauté d’agglomération et musée). La permanence de Michel de Montaigne est une véritable épine dorsale historique et symbolique de ce lieu durant plus de 400 ans. Ses différents habitants avec des usages et des fonctions très diverses (religieux, révolutionnaires, universitaires, conservateurs de musée) se revendiquent de Montaigne comme humaniste, comme progressiste, comme modéré, comme penseur, comme écrivain, comme un homme dans la pensée et l’action sont sans cesse d’actualité.
Ces recherches nous permettront aussi de renforcer le projet scientifique du musée d’Aquitaine traitant de sujets de société en s’appuyant sur ses collections (une des plus riches collections de France avec plus d’un million trois cent mille pièces), la prochaine étape étant l’ouverture des espaces consacrés à l’histoire du XXe et du XXIe siècle de Bordeaux et de l’Aquitaine en mars 2019. Le musée d’Aquitaine est le premier musée en terme de fréquentation de la région Nouvelle-Aquitaine, 143 000 visiteurs en 2017.
Montaigne à Bordeaux. Il faut souligner que ce nouveau chantier vient s’ajouter aux nombreuses actions que la ville de Bordeaux a initiées pour honorer et faire perdurer la mémoire de Michel de Montaigne. Ainsi, le prix littéraire Montaigne récompense chaque année un écrivain exprimant pour notre temps l’humanisme et l’attachement à la liberté de l’esprit. La restauration du cénotaphe de Michel de Montaigne s’est achevée en mars 2018 et la bibliothèque municipale porte le projet de le classement à l’Unesco de l’exemplaire des Essais de Montaigne, manuscrit annoté de la main de Montaigne.