
En matière de gestion publique, il est des décisions qui interpellent. Celle prise par la Régie de l’eau de Bordeaux Métropole de lancer un marché public pour la conception, la fabrication et la production d’une carafe en verre siglée « Eau de Bordeaux » en fait clairement partie. Montant total prévu : 480 000 euros TTC, soit près d’un demi-million d’euros d’argent public.
Il ne s’agit pas de nier l’importance de l’eau dans nos politiques publiques. Dans un contexte de dérèglement climatique, de raréfaction des ressources, de tensions sociales et économiques, l’eau est un bien commun précieux, vital, qui doit être protégé, valorisé, et rendu accessible à tous.
Mais comment justifier un tel projet dans ce contexte ? Depuis fin 2023, un concours de design a été lancé auprès des étudiants de l’École supérieure des Beaux-Arts de Bordeaux et de l’École de Condé. Le 31 mai 2024, le projet de l’équipe « Micmac » des Beaux-Arts a été retenu par un jury composé d’élus métropolitains et de professionnels. Leur design de carafe sera désormais adapté pour être produit à grande échelle à partir du 15 juillet 2025, sur 4 ans.
Associer les jeunes talents à un projet public, pourquoi pas. Cela peut être une belle opportunité pour les étudiants, un coup de projecteur sur la création locale. Mais une question de fond se pose : à quoi bon cette carafe ?
Elle serait destinée à être diffusée dans les foyers, les établissements publics, les restaurants, les cafés… mais très concrètement, ce n’est pas une carafe de plus qui convaincra les Bordelais de boire l’eau du robinet. Nous en avons tous déjà chez nous. Des bouteilles, des gourdes, des carafes — en verre, en plastique, en inox. Ce n’est pas un bel objet qui changera les comportements. Ce qui fait la différence, ce sont des campagnes de sensibilisation efficaces, des tarifs justes, une eau de qualité et des gestes simples au quotidien. Pas un produit marketing.
Cette opération n’a donc pas seulement un goût d’inutilité. Elle est aussi choquante d’un point de vue budgétaire. 480 000 euros pour une carafe, c’est plus que les 400 000 euros que la Régie de l’eau consacre aux « chèques eau » destinés à aider les foyers les plus précaires. En d’autres termes, on consacre plus d’argent à un objet vitrine qu’à un dispositif de solidarité.
À l’heure où les collectivités territoriales, comme toutes les administrations publiques, sont sommées de faire des économies, de rationaliser les dépenses, de hiérarchiser les priorités, ce type de choix est tout simplement incompréhensible.
Je demande donc aux responsables de la Régie de l’eau et à la présidente de Bordeaux Métropole, Christine Bost, de revenir sur ce projet ou, à tout le moins, d’en revoir l’ampleur. L’argent public mérite mieux que d’être dilapidé dans des opérations de communication déguisées. Les Bordelais attendent de leurs élus une gestion sérieuse, responsable, sobre — surtout quand il s’agit de l’eau.