Lille, Lyon, Nantes et aujourd’hui Bordeaux[1] : aucune cité ne réussit véritablement sa transformation sans une forte dimension culturelle ou, pire, si ses habitants ont une opinion négative de leur lieu de vie. Je ne parle pas seulement d’excellence artistique, encore que Bordeaux soit reconnue en musique, littérature ou architecture, et plus récemment pour les arts urbains ou le cinéma, je parle de culture, dans une acception fédératrice.
Cette dimension résulte d’un alliage entre héritage et volonté politique, ce qui la rend partout unique. Chez nous, c’est un patrimoine matériel et immatériel exceptionnel mis en valeur par une rénovation urbaine réussie qui permet une dynamique culturelle nouvelle. Dans des espaces publics rénovés, (re)découvrir un monument restauré, assister aux nombreux concerts et performances en plein air, pousser la porte d’une des nombreuses librairies ou bien celle d’un théâtre, d’un musée, naviguer sur le fleuve, goûter la gastronomie du Sud-Ouest, sentir l’esprit des Lumières et comprendre pourquoi Bordeaux est toujours une ville de tolérance, ouverte sur le monde… tout cela, cette âme, revêt un caractère éminemment culturel qui nous rend tous, je crois, joyeux et même fiers d’être bordelais.
Cette réalité a aussi ses détracteurs, ses rabat-joie, notamment Vincent Feltesse et ses “amis” socialistes. Comment pourrait-il en être autrement de la part d’une gauche toujours convaincue d’avoir le monopole du juste et du beau, qui se pense la plus apte à comprendre car la plus sensible à l’art et, humblement, la plus instruite. “Qu’avez-vous fait pour tant de biens ? Vous vous êtes donné la peine d’être de gauche” aurait dit Beaumarchais…
Aucune surprise donc lorsque j’ai lu cette affirmation d’imprécateur : « Après une forme
de nouveau souffle en matière culturelle (merci…), l’oxygène vient à manquer ». La légitimité de Vincent Feltesse sur ce sujet aurait dû le conduire à plus de prudence, au risque de reproduire le mémorable résultat de 2014. Car, depuis qu’il a déclaré ce secteur comme sinistré lors des élections, il brille par son silence et son manque d’initiative depuis 3 ans, comme en témoigne notamment sa présence au Comité de suivi du Document d’Orientation Culturelle ou au Conseil d’Administration de l’Opéra : 0 %. Pas une seule présence. Voilà qui est symptomatique d’une attitude : se préoccuper moins du sujet lui-même que du profit politique que l’on pense en retirer. Personne n’est dupe, heureusement.
En réalité, je ne suis pas mécontent de ces attaques. Que les élus socialistes se sentent l’obligation de critiquer est rassurant : cela en dit long sur le développement culturel que connait Bordeaux, une menace qui pèse sur ce que la gauche pense être sa « chasse gardée ».
N’aimant pas répondre d’instinct à la polémique, je prends le temps. L’été, c’est précisément ce moment où l’on prend du temps pour des futilités, afin de remettre les choses à leur juste place –ce qui est toujours plus long qu’installer le désordre- sans quoi, comme chacun sait, de la calomnie il subsiste toujours quelque chose.
Chaque année, la municipalité consacre plus de 70 millions d’euros pour la Culture et le Patrimoine (330 € /habitant). 750 agents municipaux bâtissent cette politique. Ce n’est pas exactement rien.
Depuis 10 ans, les lieux se transforment : construction des Archives, de l’Auditorium, rénovation du Musée d’Aquitaine, Cité du Vin… Et demain : rénovation du Muséum, de la salle des fêtes du Grand Parc, construction de la médiathèque de Caudéran… Malgré le contexte sécuritaire et économique, un public toujours plus nombreux (+20% en 10 ans, 613 304 visiteurs en 2016, cf. tableau ci-dessous) atteste de l’attractivité des musées[2]. 2/3 des visites sont gratuites, comme partout en France. Le prix d’entrée n’est donc pas un obstacle grâce à une grille tarifaire adaptée.
Soulignons des points forts : la Base voit sa fréquentation augmenter, avec un projet (en cours) dédié à la projection vidéo afin d’ouvrir davantage ce lieu unique ; le Musée d’Aquitaine est le 1er musée d’histoire de France selon le journal des Arts ; le Musée des Beaux-Arts est 26ème dans ce même classement (45ème l’an dernier) ; le Musée des Arts Décoratifs et du Design (+ 19% de fréquentation) possède un potentiel inexploité avec l’ouverture et la rénovation de la prison ; pour leCAPC, la fréquentation n’est pas le bon critère car ce lieu nous fait découvrir les talents de demain. Leonor Antunes ou Naufus Ramirez Figueroa, montrés à Bordeaux, sont exposés à Venise et Lion d’Or 2017, Franz Erhardt Walter, a été montré dans la nef. Défricher, une mission critiquée mais nécessaire.
Pour ce qu’il est convenu d’appeler « les arts de la scène », la ville est le 1er financeur de presque tous les théâtres publics, à l’exception du TnBA, Centre Dramatique National. L’enveloppe qui leur est consacrée a augmenté de 7% depuis 2014.
La fréquentation du TnBA est excellente grâce au travail de C. Marnas. Bien qu’il n’échappe pas aux tensions que connait le spectacle vivant, son projet se stabilise autour de grands axes spécifiques : création et diffusion s’équilibrent, avec une place particulière pour les équipes locales.
L’Opéra National de Bordeaux, dirigé par un artiste majeur, M. Minkowski, développe de nouveaux partenariats avec des lieux d’excellence (Opéra-comique, Fenice…) et sa fréquentation augmente (4% en 2016/17). Inutile de nier les difficultés que rencontre cette maison, communes à presque tous les opéras. Mais la Direction et les financeurs travaillent sérieusement à la définition d’un modèle soutenable économiquement, sans rien perdre de notre excellence. La recrutement d’un nouveau Directeur de la Danse est lancé.
La Manufacture Atlantique se transforme pour devenir un pôle de création contemporaine pluridisciplinaire plus fort, au service des artistes émergents. C’est un projet artistique inédit au niveau national grâce à la fusion de l’actuel théâtre avec le Centre de Développement Chorégraphique National venu d’Artigues-Près-Bordeaux. Par ailleurs, le lieu va être partiellement rénové et acquis par la ville pour en pérenniser l’action.
La Glob Théâtre a vu sa subvention augmenter et ses travaux soutenus (négociations également en cours pour pérenniser le lieu). La Boite à jouer, privée de public pour des raisons de sécurité, développe des résidences et une saison nomade pendant qu’un groupe de travail pense à sa future réimplantation.
Le FAB, le 30/30, l’Echappée Belle… sont autant de festivals qui révèlent la vitalité d’un territoire, fruit du travail des Cies tout au long de l’année, avec le soutien de l’OARA notamment.
Mais je sais que dans ce domaine, la situation est plus difficile. Alain Juppé a confié une mission à Richard Coconnier qui rendra ses conclusions en octobre prochain. Nous (les collectivités, l’Etat) devons d’avantage soutenir le spectacle vivant pour que les propositions soient à la hauteur d’une grande Métropole (laquelle devrait y contribuer d’ailleurs).
Outre ce que j’ai déjà écrit sur les lieux d’exposition, les Arts visuels bouillonnent : POLA s’installe au bord du fleuve, le premier Week-end de l’Art Contemporain fédère 35 structures (28.09>01.10), 130 ateliers d’artistes soutenus par la ville (75 en 2014)… et cet été dans l’espace public : 18 sculptures d’A.Gormley, des œuvres de M. de Broin, D. Firman, S. Treister, un nouveau refuge périurbain…et 12 fresques de Street Art.
La ville de Noir Des’, et aujourd’hui d’Odezenne ou JC Satan, compte 4 lieux labélisés Musiques Actuelles et une scène locale vivace, des caves aux plateaux des salles. Relâche, Climax ou Reggae Sun Ska sont devenus incontournables en France. Bientôt, la salle des fêtes du Grand Parc et la grande salle de spectacle complèteront le maillage des équipements. En matière de musique électronique, l’I-Boat et Traffic, pionniers, ont été rejoints par Délicieuse musique, l’Orangeade, Bordeaux Open Air, Hors-Bord…
Chez nous, les bibliothèques sont nombreuses et gratuites, des librairies ouvrent (telle « BD Avenue », la petite dernière) et Mollat fait vivre sa « Station Ausone ». Des auteurs ont fait Bordeaux, d’autres poursuivent activement cette tradition, comme Sophie Avon, Marc Dugain ou bien encore Hervé Le Corre. La BD se développe fortement, dans l’ombre et auprès d’Angoulême.
Fort de ce terreau, il était grand temps de se rassembler. La LGV nous en a donné l’occasion avec la saison « Paysages Bordeaux 2017 », bâtie autour d’AGORA, biennale d’architecture et de design.
Un moment d’exception, qui s’appuie sur les opérateurs et temps forts du territoire. En 4 mois, une centaine de propositions sont au menu, dans tous les champs artistiques, nourris des talents locaux comme internationaux. La presse en parle, le public est au rendez-vous et surtout, cette dynamique nous aide à grandir.
Sans les artistes et les 200 associations culturelles aidés par la ville (dont les subventions n’ont pas baissé pour beaucoup), rien de tout cela ne serait possible. Voici pourquoi en 2017, les appels à projets pour la création, l’innovation et la mobilité internationale ont été maintenus à un haut niveau.
Je m’arrête là. Pardonnez à la fois la longueur de mon propos et son manque d’exhaustivité[3] mais il confirme que notre offre culturelle est en expansion et qu’elle ne manque pas d’oxygène.
Si elle venait à en manquer, il est peu probable que nous fassions appel aux lumières de Vincent Feltesse, ex-conseiller d’un Président dont on se souviendra qu’il diminua les crédits de la Culture comme aucun autre avant lui.
Que Vincent Feltesse ne siège pas dans les instances culturelles dont il est membre, c’est une affaire entre lui et sa conscience ; mais qu’il se mêle d’en faire la critique, en truffant d’erreurs son propos, me paraît inconvenant. Alors je préfère le mettre en garde, pour l’avenir : le temps où l’opposition municipale pouvait semer la critique sans craindre de réponse, ou si peu, est révolu. À chaque fois que le propos sera faux, je serai là pour rétablir ce que je crois être plus proche de la vérité, même l’été.
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[1] Cette comparaison entre Bordeaux et les grandes villes françaises se retrouve souvent dans la presse. Libération dernièrement : http://next.liberation.fr/arts/2017/07/28/tourisme-culturel-fais-tourner-le-badaud_1586925
[2] Cet été encore, ils ont déjà accueilli près de 100 000 visiteurs (+ 10% par rapport à l’été dernier) grâce notamment à saison Paysages Bordeaux 2017.
[3] Tout ce que je n’ai pas évoqué ici se trouve dans notre Document d’Orientation Culturelle, composé de 109 actions dont 67 déjà réalisées, en à peine plus de 3 ans.