
Lors de ses vœux en janvier 2025, le maire de Bordeaux, Pierre Hurmic, a annoncé une baisse spectaculaire de 28 % de la pollution de l’air due aux oxydes d’azote (NO2) dans la ville.
Un chiffre qui, à première vue, pourrait rassurer les Bordelais. Mais en y regardant de plus près, cette affirmation repose sur une manipulation des chiffres et une lecture orientée des données.
Une analyse détaillée des données disponibles révèle une réalité plus nuancée :
- Une baisse partielle et non-généralisée,
- Une période de référence biaisée, Pierre Hurmic n’était pas encore maire,
- Des hausses inquiétantes sur les particules fines (PM10 et PM2.5),
- Une tendance amorcée bien avant 2020,
- Un discours trompeur pour masquer les embouteillages.
Le maire globalise et mélange parfois l’inconciliable : en témoigne sa référence au bus G, présenté comme ayant contribué à réduire la pollution entre 2019 et 2023, alors qu’il ne circule que depuis l’été 2024…
Sud Ouest – 14 février 2025
Une baisse partielle non-généralisée
Les données de l’observatoire Atmo Nouvelle-Aquitaine, qui surveille la qualité de l’air à Bordeaux, montrent des variations selon les stations de mesure et les polluants considérés. Quand la station du boulevard Antoine-Gautier indique une diminution de 28 % des concentrations de dioxyde d’azote (NO₂) entre 2019 et 2023, les autres stations de mesure présentent, quant à elles, des tendances différentes :
- à la Bastide, la diminution du NO₂ est de 13 % seulement entre 2020 et 2023 et -7% sur les deux dernières années,
- au Grand Parc, les niveaux restent complètement stables sur la même période.
Mesures de NO2 de 2018 à 2023 sur les 3 capteurs Atmo
Bordeaux Gautier | Bordeaux Bastide | Bordeaux Grand-Parc | |||
2018 | 40 | 15 | |||
2019 | 40 | 14 | |||
2020 | 31 | 16 | 12 | ||
2021 | 31 | 15 | 12 | ||
2022 | 31 | 15 | 11 | ||
2023 | 29 | 14 | 12 |
Bordeaux Gautier | Bordeaux Bastide | Bordeaux Grand-Parc | |
2019-2023 | -28% | -13% | -14% |
2020-2023 | -6,5% | -7% | 0% |
Il est donc déplorable de constater que le chiffre de 28 % avancé par la mairie ne concerne qu’un seul capteur, celui de Bordeaux-Gautier, entre 2019 et 2023.
Ces disparités soulignent bien la complexité de l’évolution de la qualité de l’air et la nécessité d’une analyse approfondie avant de tirer des conclusions générales.
Prendre le chiffre le plus avantageux et l’étendre à toute la ville – ce qui est scientifiquement infondé – c’est mentir à ses concitoyens !
Un choix de période biaisé
Par ailleurs, Pierre Hurmic ne se contente pas de manipuler les chiffres, mais il choisit également la période 2019-2023 pour comparer les niveaux de pollution, alors qu’il n’est en fonction que depuis 2020. Pourquoi ? Parce que cette période inclut les confinements liés à la crise du Covid, où la circulation a été réduite de manière drastique.
Si l’on compare uniquement la période 2020-2023, soit depuis son élection, la baisse du NO2 à Bordeaux-Gautier n’est plus que de 6,5 %. Grand-Parc n’enregistre aucune baisse.
Une hausse des particules fines passée sous silence
Là où le discours de la mairie devient encore plus trompeur, c’est qu’elle ne parle que des NO2 et ignore totalement les particules fines PM10 et PM2.5, pourtant les plus nocives pour la santé (voir encadré ci-dessous) :
- Bordeaux-Bastide : hausse de 13 % (2020-2023) et de 20 % (2021-2023) pour les PM10.
Mesures de PM10 de 2018 à 2023 sur les 3 capteurs Atmo
Bordeaux Gautier | Bordeaux Bastide | Bordeaux Grand-Parc | |||
2018 | 25 | 17 | |||
2019 | 22 | 18 | |||
2020 | 21 | 16 | 16 | ||
2021 | 21 | 15 | 16 | ||
2022 | 24 | 21 | 19 | ||
2023 | 18 | 18 | 17 |
Bordeaux Gautier | Bordeaux Bastide | Bordeaux Grand-Parc | |
2019-2023 | -18% | +13% | 0% |
2020-2023 | -14% | +20% | +6% |
- Bordeaux-Gautier : les PM2.5 ont augmenté de 12 % entre 2020 et 2022 avant une légère baisse.
Mesures de PM2.5 de 2020 à 2023 sur le capteur Atmo Bordeaux-Gautier
Bordeaux-Gautier | |
2018 | |
2019 | |
2020 | 10 |
2021 | 10 |
2022 | 12 |
2023 | 9 |
Bordeaux-Gautier | ||
2019-2023 | -11% | |
2020-2022 | +12% |
Une amélioration partielle sur un polluant ne peut pas cacher la dégradation d’autres indicateurs. La mairie fait un tri opportuniste des chiffres pour masquer la réalité.
Une tendance de long terme, pas une victoire de Pierre Hurmic
Il me semble, par ailleurs, important de noter que la pollution a bien baissé à Bordeaux ces dix dernières années, bien avant l’arrivée des écologistes.
Depuis 2015 :
- Le NO2 a reculé de 42 %.
- Les PM10 ont baissé de 30 %.
- Les PM2.5 ont chuté de 42 %.
Ces résultats sont liés à des avancées technologiques (moteurs plus propres) et aux choix politiques faits sous Alain Juppé et Nicolas Florian, notamment la réduction de la place de la voiture avec le déploiement du tramway.
Un discours trompeur pour masquer les embouteillages records
Pendant que Pierre Hurmic tente de faire croire que Bordeaux respire mieux, notre ville est devenue championne des bouchons en France. La suppression de voies de circulation et le report du trafic vers la rocade aggravent la situation.
La mairie évoque le concept d’“évaporation du trafic” : en supprimant des routes, il y aurait moins de voitures. En réalité, les automobilistes stagnent dans les embouteillages, polluant davantage.
Une supercherie politique
Non, la pollution n’a pas chuté de 28 % à Bordeaux. Pierre Hurmic présente un chiffre isolé comme une vérité globale, en omettant des données essentielles et en manipulant la période de référence.
Plutôt que de travestir la réalité, la municipalité devrait prendre des mesures concrètes pour réduire les embouteillages, développer des infrastructures de transport adaptées et adopter une véritable stratégie de transition écologique qui ne repose pas uniquement sur des effets d’annonce.
L’importance d’une mesure précise et transparente
Lors d’une intervention au conseil de Bordeaux Métropole, j’ai souligné l’importance de ne pas se contenter de chiffres globaux, mais d’examiner en détail les données disponibles. J’ai également voulu aller plus loin en proposant l’installation de capteurs de qualité de l’air sur les horodateurs de la ville, afin de disposer de mesures plus fines et en temps réel. Cette approche permettrait de mieux comprendre l’impact des politiques publiques sur la pollution atmosphérique et d’ajuster les actions en conséquence.
La qualité de l’air à Bordeaux est un enjeu majeur de santé publique. Si des progrès ont été réalisés, il est crucial de baser les communications officielles sur des analyses complètes et transparentes des données. Une surveillance plus fine permettra de mettre en place des actions efficaces pour lutter contre la pollution atmosphérique et protéger la santé de tous.
POUR TOUT COMPRENDRE
Comment mesure-t-on la qualité de l’air en milieu urbain ? La qualité de l’air en milieu urbain est évaluée à l’aide de stations de surveillance qui mesurent en continu les concentrations de divers polluants atmosphériques. Parmi les principaux polluants surveillés : – Dioxyde d’azote (NO₂) : un gaz émis principalement par les véhicules motorisés et certaines installations industrielles. Il est un indicateur clé de la pollution liée au trafic routier. Il peut provoquer des irritations respiratoires et aggraver des maladies comme l’asthme. – Particules fines (PM10 et PM2,5) : ces particules en suspension dans l’air proviennent notamment des activités industrielles, du chauffage au bois et du trafic routier. Elles peuvent pénétrer profondément dans les poumons et sont associées à diverses affections respiratoires et cardiovasculaires. Les données recueillies par les stations de surveillance sont analysées pour déterminer les niveaux de pollution et évaluer les risques pour la santé publique. Ces informations sont essentielles pour élaborer des politiques visant à améliorer la qualité de l’air. |
Les seuils de l’OMS et la situation à Bordeaux L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a établi des seuils recommandés pour les principaux polluants atmosphériques afin de protéger la santé publique. Par exemple, pour le NO₂, le seuil est fixé à 10 µg/m³ en moyenne annuelle, pour les PM10, à 20 µg/m³ et pour les PM2,5, à 5 µg/m³. À Bordeaux, les données récentes indiquent que les concentrations moyennes annuelles de ces polluants dépassent souvent les seuils recommandés par l’OMS, ce qui pose un risque pour la santé des habitants. Respecter ces seuils est essentiel pour réduire l’incidence des maladies liées à la pollution de l’air et améliorer la qualité de vie. |