Désinformation : un bon diagnostic, une mauvaise réponse

« Retour de la Pravda », « ministère de la Vérité », « dérive autoritaire » : autant d’expressions caricaturales qui ont fleuri ces derniers jours après la proposition du président de la République de créer un label destiné aux médias pour lutter contre la désinformation.

De quoi s’agit-il précisément ? D’un mécanisme volontaire, conçu par des professionnels des médias, qui attribuerait un label aux sites et journaux d’information respectant des standards déontologiques et d’intégrité. L’intention semble louable : rendre visibles les sources fiables, combattre les contenus viraux non vérifiés et la désinformation grandissante, notamment pour protéger les plus jeunes, noyés dans un flux d’informations permanent.

Au-delà des réactions disproportionnées de certains responsables politiques ou de certaines chaînes d’information, il est utile de revenir au cœur du sujet, situé au croisement de trois enjeux : l’indépendance de la presse, la liberté d’information et l’éthique journalistique.

Oui, notre pays, comme d’autres, connaît une recrudescence de la désinformation, en particulier depuis que la France s’est frontalement opposée à la Russie dans sa guerre en Ukraine. Cette guerre se prolonge sur notre territoire par une propagande orchestrée par le Kremlin et parfois relayée sans recul par certains médias.

La désinformation prospère également grâce aux chaînes d’information en continu, qui accélèrent le traitement des faits et contribuent à un climat médiatique souvent hystérique. Le citoyen, submergé par un torrent d’informations, ne dispose plus du temps nécessaire à la réflexion.

Les réseaux sociaux aggravent encore ce phénomène. Espace largement débridé et peu modéré, comme l’illustre la situation du réseau X, ils exposent chacun à une grande quantité de contenus trompeurs. Un Français passe en moyenne cinq heures par jour sur ces plateformes : il est donc inévitablement confronté à de la désinformation. La vraie question est la suivante : a-t-il les outils pour la repérer et la remettre en cause ?

C’est, selon moi, la première erreur de la proposition présidentielle : elle ne place pas au centre le doute, pourtant première arme du citoyen en démocratie. Plutôt qu’un label à la définition incertaine, nous devrions apprendre dès le plus jeune âge à questionner ce que nous voyons et entendons.

Développer un esprit robuste et attentif est notre première ligne de défense contre la fabrication du mensonge. C’est aussi une manière de défendre la liberté : faire le pari qu’un citoyen éclairé, formé et accompagné saura distinguer le vrai du faux.

Choisissons donc la force critique du citoyen plutôt qu’une nouvelle norme bureaucratique qui risque, au mieux, d’être inutile et, au pire, de nourrir la défiance du public comme la crainte des journalistes.

Le véritable danger : la concentration des médias et l’érosion du pluralisme

Un autre enjeu, bien plus préoccupant selon moi, demeure largement absent du débat : la concentration des médias entre les mains de quelques grands groupes de milliardaires.

C’est un sujet démocratique majeur. Lorsque la production et le traitement de l’information dépendent d’une poignée d’individus, se pose inévitablement la question de la fiabilité, de la pluralité et de l’éthique journalistique.

Avant l’opinion, il y a l’information. Si celle-ci est biaisée, la réflexion qui en découle l’est tout autant. C’est ainsi que s’installe la « post-vérité », où les faits sont relégués derrière les opinions.

Prenons un exemple : le dérèglement climatique imputable à l’activité humaine est un fait. Pourtant, certains continuent de le contester ou de le relativiser. En revanche, les solutions à y apporter relèvent du débat légitime. La concentration des médias brouille cette distinction fondamentale, car elle tend à privilégier l’émotion et l’opinion dès l’amont.

Certaines chaînes se ruent sur des faits divers ou des sujets de société sans en connaître les contours, au nom d’un agenda idéologique imposé d’en haut. L’émotion prend alors le pas sur l’analyse, le commentaire sur l’enquête, et l’idéologie sur la déontologie.

Il faut retenir ceci : dans une société de l’information, la désinformation existera toujours. Chercher à la supprimer totalement revient à produire l’effet inverse de celui recherché : un contrôle opaque de l’information et une restriction de la liberté de s’informer. L’enjeu n’est pas d’empêcher toute fausse information, mais de s’armer intellectuellement pour y résister.

Cela passe par l’éducation, dès l’école, afin de développer l’autonomie critique nécessaire pour identifier le mensonge, la propagande étrangère ou les manipulations.

Cette ambition implique aussi de repenser la pluralité des médias et les conditions de leur détention. C’est en garantissant un véritable pluralisme, associé à une formation solide des citoyens, que l’on pourra défendre efficacement la liberté d’informer et d’être informé, sans recourir à un label qui risque davantage de créer de la suspicion que de renforcer la confiance.

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