Démocratie ne rime plus naturellement avec efficacité, progrès et liberté. C’est l’une des raisons qui nourrit la défiance de nos concitoyens à l’égard de la politique.

En 1989, lorsque tombe le mur de Berlin, la démocratie libérale triomphe du collectivisme autoritaire en promettant aux peuples deux avancées majeures : le respect des libertés individuelles et un Etat efficace. Finis les rationnements de nourriture, le système médical défaillant et les infrastructures moyenâgeuses. Pendant près de 30 ans, l’alliance de l’Etat de droit et de l’efficacité libérale triomphera du monde occidental et de la plupart des pays, bien que certains demeureront sous l’emprise d’un régime autoritaire.

Les Trente Glorieuses permettent une croissance sans limite, la réussite est accessible à tous. Le progrès technique est rapide et positif, la technologie fascine, elle est synonyme de confort de vie, de guérison face à la maladie, de rapidité dans les transports, de conquête de l’espace. Le démocrate de droite, de gauche ou du centre, semble encourager et maîtriser cette marche vers la modernité en faisant preuve de toujours plus d’efficacité, avec l’aide notoire de la révolution numérique. Au contraire, les régimes autoritaires sont accusés d’inefficacité, de gabegie, d’injustice et de corruption. L’ONU et l’OMC, bras armés de l’occident démocratique, les combattent par les règles commerciales et parfois mêmes par les armes. La chose est entendue, nous sommes les gentils.

Mais aujourd’hui, les démocraties doutent.
Dans « La crise de la culture », Hannah Arendt cite René Char : « Notre héritage n’est précédé d’aucun testament. ». Autrement dit, nous naissons, nous vivons, nous héritons du monde sans que nous puissions jamais dire avec certitude si nos actes sont les bons. Cela génère du doute dans nos esprits, et c’est une bonne chose, en ce sens que nous nous remettons en cause. Mais une trop forte incertitude génère de la peur, de l’angoisse et le risque de lâcher la proie pour l’ombre.

Précisément, je crois que nous en sommes là : nous vivons une période d’immense incertitude, comme le monde en rencontre parfois lorsqu’il franchit les caps de son histoire. Et les avocats de l’autoritarisme en profitent, ils espèrent prendre leur revanche. Trump, Johnson, Erdogan, aidés par tous les mouvements complotistes et les fake-news qui pullulent sur les réseaux sociaux, se présentent comme des sauveurs capables de restaurer l’ordre et l’efficacité des politiques publiques.

La tentation est grande : 40% des français se disent séduits par l’arrivée d’un pouvoir plus autoritaire, au point que certains se demandent tout haut si nous ne devrions pas renoncer à un peu de nos libertés pour regagner en rigueur et en efficacité. La Russie de l’autocrate Poutine a son vaccin avant la France, des pays asiatiques plus habitués à l’ordre respectent mieux les gestes barrières que nous… certains pays autoritaires semblent mieux traverser l’époque que nos bonnes vieilles démocraties.

Pour lutter de toutes forces contre cette tentation populiste, nous devons d’abord accepter le constat : notre démocratie est fragilisée. Aidée par une abstention galopante, l’arrivée au pouvoir d’un mouvement autoritaire en France est plausible.

Nous nous demandons parfois comment restaurer la confiance, par où commencer ? J’ai acquis la conviction que nous devons redonner ses lettres de noblesse à la politique en refusant toute forme de résignation.
« Ce n’est pas possible », « on a toujours fait comme ça », « juridiquement c’est compliqué »… toutes ces formules (que j’ai moi aussi prononcées) insupportent nos concitoyens et elles nourissent ce sentiment d’impuissance qui gangrène nos démocraties.

Le politique doit reprendre le contrôle des éléments. Ne plus laisser le confort des habitudes ou le brio des experts dessiner notre avenir. Nous avons besoin d’élites, de science et de conseillers, mais à leur juste place, pas en lieu et place du décideur élu par le peuple. De ce point de vue, le Président Emmanuel Macron a pris une décision courageuse en refusant de reconfiner le pays. Il est en passe de réussir son pari et, immédiatement, sa côte de popularité s’en ressent positivement. C’est donc possible.

Je suis optimiste par choix. Je veux croire que cette période si sombre n’est qu’une transition lors de laquelle s’entrechoquent civilisations et spiritualités, avec fracas parfois, où la vérité n’existe plus, où prospère le populisme, mais que ce mal est nécessaire pour que puisse éclore une nouvelle époque dans laquelle la démocratie libérale retrouvera sa vitalité et sa modernité.

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