C’est le professeur d’économie Assar Lindbeck qui a dit : « Le contrôle des loyers est le moyen le plus efficace de détruire une ville, avec le bombardement ». Son jugement est radical mais étayé, scientifiquement, et surtout il se fonde sur une réalité historique : en France, la précédente expérience d’encadrement des loyers a duré de 1914 à 1948. Les conséquences sur le marché locatif et sur l’offre de logements furent catastrophiques avec notamment un effondrement de la production.

L’histoire va-t-elle se répéter à Bordeaux ?

L’encadrement des loyers est une fausse bonne idée qui ne résoudra pas les difficultés de français pour trouver un logement abordable.

Oui, le poids du loyer est trop important pour certaines familles. Mais les loyers sont déjà encadrés ! Selon l’A’urba, entre 2015 et 2018, les loyers n’ont augmenté que de 0,6% par an sur la métropole bordelaise car leur révision annuelle est calculée à partir de l’indice de référence du logement (IRL). Ce dernier est lui-même calculé sur la base de l’inflation laquelle est très basse en ce moment. Par ailleurs, l’encadrement des loyers à la relocation s’applique : le loyer du nouveau locataire ne peut excéder celui du précédent.

De plus, toute mesure d’encadrement des loyers sera contournée, difficilement applicable et pire, elle n’a pas prouvé son efficacité.

D’abord, certains logements ne seront pas soumis à l’encadrement des loyers : ceux faisant l’objet d’une première location et ceux inoccupés depuis plus de 18 mois. Ensuite, une autre façon légale d’éviter l’encadrement est de choisir la location meublée avec des plafonds de loyer supérieurs de 10 à 15%.

Par ailleurs, la loi permet de s’affranchir de la règle de l’encadrement grâce au fameux « complément de loyer ». Sans que rien ne dise, dans les textes, comment il est calculé. Donc vous estimez vous-même si votre logement justifie un « sur-loyer » :  un balcon, la présence d’une station de tram proche, une cuisine américaine ou un appartement exceptionnellement lumineux… une faille majeure qui amènera de graves dérives

Cette mesure sera ensuite difficile à faire appliquer par le manque de moyen de contrôle : à Paris, les loyers ont certes baissé de 2,6 points au second semestre 2019. Cette évolution résulte de la peur du contrôle. Mais les loyers sont repartis à la hausse: + 1,6 % de janvier à mai 2020. Les propriétaires se sont rendu compte qu’il n’y avait pas de police des loyers… Le dispositif de sanctions repose uniquement sur les signalements par les locataires.

Justement, en cas de conflit, seul le locataire, une fois le bail signé, peut attaquer le propriétaire. Très difficile pour les autorités de se saisir d’un dossier sur la base d’une simple annonce. Imaginez donc : vous cherchez un appartement pendant des semaines, vous signez le bail… et vous attaquez votre propriétaire ? C’est peu probable. Selon mes informations, seulement 21 locataires, depuis le 1er juillet, ont saisi la commission départementale de conciliation à Paris…

Enfin, c’est une mesure qui n’a pas prouvé son efficacité à Paris justement. Depuis le 1er juillet 2019, la capitale à (re)lancer l’encadrement des loyers. Or, 15 mois plus tard, ce dispositif n’a pas totalement prouvé son efficacité. Les loyers ont-ils ralenti comme promis ? Oui, mais seulement durant les six mois qui ont suivi l’entrée en vigueur du dispositif, selon une étude de Meilleurs Agents et du Figaro. SeLoger.com a constaté, de son côté, des prix à la baisse à partir de juillet 2019. Mais cette baisse est identique à l’an passé, sans l’encadrement. C’est un effet saisonnier et non une tendance générale. Leboncoin, leader des annonces de particuliers, assure ne pas observer « de baisse significative sur les loyers parisiens depuis juillet ».

Et pour cause : actuellement à Paris, on estime qu’un logement sur deux seulement respecte la loi. Parmi les propriétaires ne respectant pas l’encadrement, tous ne sont pas des fraudeurs !  Certains n’ont pas le choix et doivent augmenter leur loyer pour ne pas perdre de l’argent, du fait de la “faible” rentabilité (ce n’est pas un gros mot !) actuellement à Paris.

En résumé, on peut s’attendre avec cette mesure, au mieux, à un effet très limité, au pire à une mesure-gadget qui produira des effets pervers attestés partout où elle a été mise en œuvre.

En effet, l’immobilier locatif a besoin d’être encouragé pour continuer à séduire. Or, la fixation administrative des loyers, en faisant fuir les petits propriétaires, est une catastrophe pour le marché locatif privé qui ne pourra plus assurer son rôle de premier bailleur de France.

La baisse des rendements locatifs résultant du plafonnement des loyers pourrait inciter certains bailleurs à limiter l’entretien de leur patrimoine. Pire, cela pourrait ralentir l’effort nécessaire pour isoler les logements et favoriser l’étalement urbain car les investisseurs iront bâtir aux portes de la métropole. Quel paradoxe !

En réalité, vouloir maîtriser les loyers suppose une analyse multifactorielle dans laquelle la question de l’encadrement, déjà existant, n’est qu’un des aspects du problème.

La politique du logement mérite une vraie vision et non une mesure d’affichage, très politique et sans efficacité réelle prouvée. Cette annonce dirigiste ne permettra pas, à elle seule, d’aider les plus modestes si, en parallèle, la construction de logement n’est pas réellement soutenue.

Ce que nous devons craindre, demain, ce n’est plus tant la hausse des loyers, c’est la pénurie de logement.

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