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Discours prononcé lors de l’hommage à Jean Lacouture, journaliste et écrivain.

Bordeaux, Grand Théâtre, le 27 octobre 2016

Cette soirée en hommage à Jean Lacouture est un moment émouvant pour nous tous. Jean Lacouture fut un témoin privilégié du XXe siècle, dont il a rencontré la plupart des grandes figures. L’originalité de son parcours, l’ampleur de son œuvre et l’agilité de sa plume en ont fait un journaliste et un biographe hors du commun.

Pour les journalistes, il était l’aîné de Gascogne. Il n’avait plus l’âge des cadets mais il en gardait la pétulance, le panache, le sens de l’amitié et une plume qui était comme la rapière de d’Artagnan, aussi rapide qu’acérée. Pour reprendre ses mots, « Gascon parce que gasconnant. Gascon parce que citoyen gourmand du monde » (Montaigne à Cheval).

Pour la gauche, il était une référence, dans ses convictions comme dans ses entêtements, qu’il rachetait par une sincérité pleine d’élégance : « Je sais depuis lors, ayant dû me mêler quelque peu de journalisme et d’histoire, que la vérité est une déesse au sommeil léger, et aux réveils trompeurs ».

Avec son physique de mousquetaire, Jean Lacouture a traversé le temps sans s’en apercevoir. Sa facilité d’écriture déconcertait. Il a publié plus de 70 livres, tous de facture brillante et d’érudition discrète, dont beaucoup de Français conservent les plus connus dans leur bibliothèque : son De Gaulle, son Mitterrand, son Blum ou son Mauriac, les biographies dont il était le plus fier, modèles de récits enlevés et d’études psychologiques.

Au Monde, il était le Lucky Luke de l’édito, tirant plus vite que son ombre, pour un « Bulletin de l’étranger » produit en dix minutes, avec une machine à écrire qui tirait en rafales. Quoique d’un orgueil susceptible, il usait d’un humour humble, émaillé de traits d’esprit vachards. A l’hebdomadaire, il livrait ses articles les plus engagés sans négliger trois passions : opéra, rugby, tauromachie, sur lesquelles sa plume séduit jusqu’aux lecteurs les plus profanes.

Il pratique un journalisme d’intelligence mais aussi d’admiration. Il lui est impossible d’écrire la vie d’un home qu’il ne respecte pas ; il ne veut pas des sujets pour ses livres mais des héros. Jean Lacouture est, dès son enfance, fasciné par les personnages d’exception. Sa mère, passionnée d’histoire, lui a donné le goût des grandes biographies. Résistant, il s’engage dans la 2e DB à la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Il suit aussi le général Leclerc lorsqu’il est envoyé en Indochine. Jean Lacouture, affecté au service de presse, réalise que la décolonisation est inévitable. Il est ainsi témoin des accords signés avec Hô Chi Minh, qui font du Vietnam un Etat indépendant dans le cadre de l’Union Française.

Après deux ouvrages sur l’Egypte et le Maroc, rédigés avec sa femme, Simone Lacouture, le journaliste publie Cinq hommes et la France, en 1961. Professeur à l’Institut d’Etudes politiques de Paris (1969-1972), il publie de 1984 à 1986 une vaste biographie de De Gaulle en trois volumes.

Ainsi s’efface dans l’élégance Jean Lacouture, un héraut de la gauche des libertés, fidèle à ses idées et encore plus à ses amis, épicurien du Midi et spartiate de l’écriture, chaleureux et exigeant, colérique et généreux.

J’en terminerai par ces propos emblématiques de Jean Lacouture sur Bordeaux : « Pour ce qui est de la Garonne, j’aime le combat que se livrent ici, en un tournoi arbitré par le pont Deschamps, le tumultueux liquide venu de l’Océan, verdâtre et colérique, et les douces eaux qui portaient Montaigne d’une estacade de Cadillac en sa mairie, ou en sa maison de la Rousselle, à bord de quelque gabarre où piaffait son cheval ».

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